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jeudi, 06 juillet 2006

Petit mémento en 20 points sur la crise franco-ivoirienne




Au moment où la «révision évolutive» (selon la formule
«Révisionnisme évolutif» de Th. Kouamouo) de la lecture que fait la presse française de la crise franco-ivoirienne prend le tournant tragi-comique que l’on sait, et dont Thomas Hoffnung est le dernier porte-parole, il n’est pas inutile de reproduire ce petit mémento publié en novembre 2004 dans www.ivoireforum.com (http://www.ivoireforum.com/a_la_une.asp?id=676), qui prend, avec un an et demi de recul, des allures prémonitoires…


Petit mémento en 20 points sur la crise franco-ivoirienne :

1. Saviez-vous qu’en 1999 la position française était que les conditions de nationalité ne permettaient pas à A. D. Ouattara de se présenter à l’élection présidentielle ivoirienne (cf. Bernard Debré, Le Figaro, 25. 11. 1999) ?

2. Saviez-vous que le concept d’ «ivoirité» proposé contre lui par son adversaire d’alors, H. K. Bédié (allié, aujourd’hui, de ce même A. D. Ouattara et des rebelles contre L. Gbagbo), n’a en revanche jamais été accepté par L. Gbagbo ?

3. Saviez-vous que A. D. Ouattara est de ceux qui ont appelé (sous le gouvernement Guéi) à voter «oui» au référendum d’alors, avec la clause électorale de la nationalité sur la Constitution de la IIe République qui doit être à présent réformée par un autre référendum pour qu’il puisse se présenter ?
(Depuis L. Gbabgo a usé des prérogatives présidentielles que lui donne l'art. 48 de la Constitution pour lui permettre de se présenter quand même.)

4. Saviez-vous que les divers responsables du parti et du gouvernement (dénigré comme «ethnique») de L. Gbagbo (démocratiquement élu, rappelons-le), viennent des quatre coins de la Côte d’Ivoire ?

5. Saviez-vous que grâce à L. Gbagbo et au forum de réconciliation nationale qu’il a mis en place avant la tentative de coup d’État de septembre 2002, la nationalité ivoirienne a été accordée à A. D. Ouattara ?

6. Saviez-vous que L. Gbagbo avait mis en place, dans la foulée de ce forum, un gouvernement d’union nationale incluant le parti de A. D. Ouattara — avant, donc, la tentative de coup d’État de 2002, et donc avant que Marcoussis ne prétende le lui imposer en février 2003 — ?

7. Saviez-vous que les rebelles sont descendus jusqu’à Abidjan, où ils ont tué le Ministre de l’Intérieur, et qu’ils en ont été repoussés non par l’armée française, mais par l’armée ivoirienne ?

8. Saviez-vous que l’armée française a simplement bloqué tout le monde à Bouaké, Marcoussis entérinant cela, tandis que les Ivoiriens croyaient que la France mettrait au contraire en place les accords de défense scellés avec la Côte d’Ivoire ?

9. Saviez-vous que les populations du Nord ont fui en masse l’occupation rebelle et qu’on n’a pas assisté à ce mouvement en sens inverse (les populations du Nord ne se sentent donc manifestement pas persécutées au Sud !) ?

10. Saviez-vous que si l’on s’en tenait à l’affichage horaire des dépêches de presse, les deux Sukhoï ivoiriens sembleraient avoir été détruits par l’armée française quelques heures avant l’attaque (dont on ne cesse de s’étonner de l’absurdité) du camp français de Bouaké (dépêches du 6. 11. 2004 : 10 h 03 pour l’AFP, 10 h 26 pour Reuters*) ?
(La question que je posais alors sur nouvelobs.com — http://unevingtaine.wordpress.com/2009/02/18/j%E2%80%99ai... — concernant l’horaire des dépêches n’a toujours pas obtenu de réponse.)

11. Saviez-vous qu’un tel dérèglement des horloges des ordinateurs de deux agences de presse de cette importance ne peut que nourrir le doute des Ivoiriens sur la réalité de ladite attaque ivoirienne du camp de Bouaké ?

12. Saviez-vous que lorsque les Ivoiriens parlent de riposte disproportionnée, ils ne pensent pas tant à la seule destruction des Sukhoï, qu’à la destruction de tous les aéronefs ivoiriens (y compris civils), au bombardement des deux résidences présidentielles (Yamoussoukro et Abidjan), à la prise de l’aéroport et des deux ponts d’Abidjan (tout cela accompagné de tirs sur la foule), au positionnement d’une trentaine de chars autour de la résidence de L. Gbagbo, puis dans foulée à l’envoi depuis la ligne de front de dizaines d’autres chars (tout cela accompagné de tirs sur les populations qui voulaient s’opposer à cette descente des chars vers Abidjan), chars bientôt positionnés à proximité de la résidence présidentielle à l’hôtel Ivoire d’où l’armée française a de nouveau tiré sur la foule — foule sans armes, ni projectiles ou autres — ?

13. Saviez-vous que cela a été interprété (on peut concéder : de bonne foi !) comme une tentative de coup d’État ?

14. Saviez-vous que ce sont les tirs sur la foule sans armes, depuis les hélicoptères français, lors de la prise de l’aéroport, occasionnant, selon le CICR, de nombreux morts et blessés, qui ont provoqué la prise à partie de résidents français (conçue comme légitime défense, puisque la France prétextait les défendre) ?

15. Saviez-vous que sur ces entrefaites se sont retrouvés dans la foule 4000 prisonniers, évadés la prison gérée par une ministre anti-Gbagbo imposé par les accords de Marcoussis — et qu’aucun pillard n’a été arrêté par l’armée française (qui semblait donc avoir autre chose à faire) ?

16. Saviez-vous que «les médias de la haine» n’ont fait essentiellement pendant ces événements que lancer des appels aux dons de sang (il suffisait de les écouter pour le savoir) pour les blessés dont beaucoup par balles (près de 3000 d’après le CICR qui préfère ne «pas donner de précisions sur le nombre de morts ni sur les causes des décès, "afin de ne pas jeter d'huile sur le feu"», selon l’AFP — Genève, 22 nov 2004 — 18 h10) ?

17. Saviez-vous que le mythe de l’analogie rwandaise (qui fonctionne selon le syllogisme : problème politique chez les Noirs = futur Rwanda ! — Problème politique en Europe = future Shoah ?) propagée par un film distribué sous le manteau, a été ridiculisé par la diffusion en Côte d’Ivoire dudit film («Poudrière identitaire») à une heure de grande écoute (le mardi 14 août 2001 — en prime time, suivi d’un débat contradictoire relayant tous les courants d’opinion) ?

18. Saviez-vous que L. Gbagbo s’est toujours refusé à interdire les journaux d’opposition ?

19. Saviez-vous que la mise temporaire sous silence, par quelques manifestants, des médias reproduisant des propos comme ceux de responsables français qualifiant d’ «outranciers» les témoignages des témoins de faits avérés tels que décapitations par balles de l’armée française, a eu pour effet de calmer les esprits ?

20. Saviez-vous que ce qui vaut en France aux médias ivoiriens l’intitulé de «haineux» est d’avoir «excité» les lecteurs essentiellement par la reproduction de Unes et d’articles de journaux français sur la Côte d’Ivoire ?

Etc., etc. Mais qui veut savoir tout cela ? Qui veut tuer son chien l’accuse de la rage !

___________________________________
* Annexe

AFP - 06/11/2004 10:03:08 :
«Les militaires français ont détruit samedi au sol sur l`aéroport de Yamoussoukro (centre de la Côte d`Ivoire) deux chasseurs-bombardiers Sukhoï de l`armée ivoirienne, a annoncé à l`AFP le colonel Philipe Mangou, du commandement ivoirien du théâtre des opérations militaires.
"Les militaires français ont détruit nos Sukhoï au sol", a indiqué le colonel Mangou sans préciser les raisons de cette action.
Celle-ci est intervenue "en rétorsion" d`un bombardement de l`aviation ivoirienne en début d`après-midi sur un cantonnement de soldats français à Bouaké (centre), le fief des rebelles, a appris l`AFP de bonne source.
Ce bombardement aurait fait "plusieurs victimes" dans les rangs français, selon cette source qui n`a pas donné plus de détails.»

Reuters - 06/11/2004 10:26:51 :
«Deux avions gouvernementaux ivoiriens ont été abattus samedi par l`armée française après avoir bombardé une position française à Bouaké, dans le nord du pays, faisant huit morts et 23 blessés parmi les militaires français, a-t-on appris auprès d`une source onusienne.
"Des sources militaires au sein des Nations unies ont dit que deux Soukhoï (des avions militaires) appartenant à l`armée ivoirienne venaient d`être détruits après que ces appareils eurent visé une cible française", a déclaré Jean-Victor Nkolo, porte-parole de la mission des Nations unies en Côte d`Ivoire.
"Huit personnes ont été tuées et 23 autres blessées. Tous étaient des soldats français" a-t-il ajouté.»




mardi, 04 juillet 2006

Événements de Bouaké — panique à bord (suite) : si l’hypothèse de L’Express était vérifiée…



Si l’hypothèse de L’Express du 18 mai 2006 (article signé Vincent Hugeux, Eric Pelletier, Romain Rosso) reprise hier (3 juillet 2006) par Thomas Hoffnung de Libération était vérifiée…

Voilà un dossier de Libération cité ce matin avec gourmandise par la plupart des journaux ivoiriens. Ceux de l’opposition de droite (politico-rebelle) — en tête desquels le journal du RDR de Ouattara Le Patriote : ici rien de surprenant : Libération est quasiment copié-collé dès le titre de la Une.

Mais la presse proche des patriotes et du FPI reproduit de même l’article de Libération d’hier. Voilà qui, du coup, pourrait surprendre, n’était ce qu’induit en fait la thèse de L’Express reprise par Hoffnung, en passe de devenir, à défaut de mieux, la thèse médiatique française officielle.

Pourquoi donc une telle jubilation de la presse «proche du pouvoir» ivoirien qui est pourtant la première cible de Hoffnung ?

C’est que l’hypothèse franco-médiatique, supposant une intention délibérée de Gbagbo concernant les événements de Bouaké, qui donc ont déclenché la réaction en chaîne de novembre 2004 : événements d’Abidjan, «guerre des six jours», le tout débouchant sur un discrédit durable de la Chiraquie dans toute l’Afrique  — cette hypothèse recèle implicitement la transformation de Chirac en un débutant et un amateur, tombé plus qu’à souhait dans le piège qui lui aurait donc été tendu.

Non seulement, donc, selon ladite thèse, le pouvoir français est (au moins indirectement) présenté comme complice (plus ou moins piégé) d’un «bombardement intentionnel» de soldats français — mais puisque ledit bombardement est présenté comme piège tendu à ce même pouvoir français, visant à le faire réagir violemment pour mobiliser contre lui la population, le pouvoir français a donné plus qu’abusivement dans le panneau ! Il serait donc tombé — suite à un coup de sang de Chirac (selon l’explication de Robert Marmoz dans le Nouvel Obs en décembre 2004) — tête baissée et sans réflexion dans le piège qui lui aurait été ainsi tendu ! Et cela — oh comble ! — ne s’est pas fait à son insu, selon la presse française. L’Express croit même pouvoir préciser que les manifestations d’Abidjan avaient commencé avant !

Voilà une défense de la Françafrique qui prêterait à rire n’était la réalité dramatique de tout cela — et cela au prix d’un embrouillamini (que j’ai essayé de démêler hier), conséquence de la volonté obtuse de ne pas lâcher le postulat de base voulant qu’il y ait eu là forcément un bombardement délibéré. Et effectivement lâcher un tel postulat serait assez coûteux aussi, puisque ce postulat est la seule légitimation de l’entrée directe en 2004 de la France dans la guerre contre la Côte d’Ivoire républicaine.

Faut-il que la Françafrique soit aux abois pour en être réduite à cette seule extrémité ! — : faire du pouvoir français le complice naïf et malgré lui d’un crime délibéré, qui de plus aurait été un piège tendu contre lui et dans lequel il serait tombé tête baissée en réagissant de façon on ne peut plus prévisible !

Bref, au point où on est en est, dans tous les cas de figure, les acteurs de la Françafrique, naïfs, criminels ou criminels et amateurs de surcroît, ont de quoi être amers !



lundi, 03 juillet 2006

Événements de Bouaké : Françafrique, panique à bord


 

Il est devenu à présent incontournable que Paris n’est pas très clair dans l’affaire du bombardement de Bouaké qui a valu le déclenchement d’une guerre de six jours contre la Côte d’Ivoire, approuvée à l’époque par les principaux responsables de la majorité, de l’opposition et de la presse françaises. À présent que la vérité menace chaque jour un peu plus d’éclater, on se tire réciproquement dans les pattes en cherchant à tirer son épingle du jeu.

Depuis 2004, la justice, française comme ivoirienne, malgré les obstacles (j’y reviens) qui lui ont été imposés, a fait son chemin, et débouche sur des zones imprévues du grand public, qui font paniquer le microcosme politique et médiatique de la Françafrique. Et on tente des explications diverses, qui reviennent pour chacun à sauver sinon sa peau, du moins son crédit. Las : on ne veut pas lâcher la fausse prémisse qui depuis 2004, égare tout le monde…

Témoin le dossier de Libération de ce matin. Thomas Hoffnung l’affirme d’emblée : le camp français de Bouaké «a été délibérément bombardé par un avion Sukhoï-25 de l'armée du président ivoirien, Laurent Gbagbo». «Sans {qu’en soit} inform{é} le principal intéressé ?» demande faussement naïf Hoffnung, qui répond lui-même à sa question : «Au premier jour de l'offensive, un télégramme diplomatique de l'ambassade de France à Abidjan note l'utilisation des«seuls moyens aériens, dont on sait qu'ils sont directement commandés par la présidence».

Voilà sa prémisse : n'admettre aucun doute sur l'affirmation initiale de Chirac en 2004 voulant que Gbagbo ait décidé de bombarder le camp français. La suite du développement plonge donc dans un embrouillamini qui se dissipe de lui-même si l’on met en question cette prémisse. Hoffnung nous fournit lui-même sans s’en rendre compte (?) tous les éléments pour ruiner cette prémisse !

Qu’est-ce que soutient Hoffnung, à l’instar de ses confrères de l’Express (du 18 mai 2006) qu’il cite et reprend ? Que «la France ménage Gbagbo». C’est là la première conséquence logique si l’on s’en tient à sa prémisse. Le problème est que cela est loin de correspondre aux faits que lui-même était bien contraint d’énoncer en 2004 ! À l’époque, la résidence de Gbagbo à Yamoussoukro avait essuyé des tirs alors qu’on avait détruit ses hélicoptères civils, et sa résidence d’Abidjan s’était trouvée assiégée par des chars français. Hoffnung expliquait alors (Libération 10.12.04) la présence de cette colonne de chars français devant sa résidence, en ces termes, attribués au Col Destremau : «Au lieu de tourner à gauche, notre guide situé à l’avant a fait un tout-droit et nous nous sommes retrouvés devant le palais présidentiel».

Bombarder sa résidence de Yamoussoukro et y détruire ses hélicoptères civils, et placer une colonne de chars devant celle d’Abidjan, fût-ce suite à une «erreur d’orientation», voilà une bien curieuse façon de le «ménager» ! Mais Hoffnung y tient : avant même cela, la rébellion dont tout le monde sait à présent qu’elle a été téléguidée depuis la françafricaine Ouagadougou, l’humiliation de Marcoussis et ses suites (qui pour Hoffnung, reviennent «à soutenir Gbagbo pour sortir de la crise» — sic ! «Paris espère ainsi rapatrier ses 3 500 soldats» ! Ben voyons !), la guerre de six jours contre la population ivoirienne défendant son Président, les mensonges à répétition pour le discréditer, les menaces de Chirac au sommet France-Afrique de Paris, les tentatives d’écarter Mbeki de la médiation, l’insistance de la diplomatie française jusqu’à aujourd’hui pour le déboulonner, tout cela (et j’en passe), c’est pour «ménager» Gbagbo !

Partant de là, effectivement, les événements de novembre 2004 sont évidemment difficiles à expliquer !

Poursuivons donc l’ «explication» de Hoffnung, qui trouve dès lors naturellement «paradoxal» que «les autorités françaises semblent peu disposées à faire toute la lumière sur ces événements».

«Mais, jure déplorer Hoffnung, à la mi-octobre 2004, les rebelles refusent une nouvelle fois de rendre leurs armes» — il est vrai, pourrait-on ironiser, que Paris et la «communauté internationale» se sont empressés de faire pression !

Alors, «Paris décide de laisser faire Gbagbo.» «Car les Français n'ignorent rien des préparatifs de son offensive», «l'armée française était parfaitement au courant de ses plans d'attaque» Heureusement que Hoffnung nous l’apprend ! Sans quoi, on aurait pu penser, comme on a voulu nous le suggérer à l’époque (sans qu’alors Hoffnung, apparemment, ne soupçonne rien !) que Paris ne se doutait de rien !

Et voilà que pour une fois, Hoffnung, citant le Gal Poncet, met les guillemets à «communauté internationale», précisant «— autrement dit {…} Paris». Bonne nouvelle : Hoffnung ouvrirait-il enfin les yeux ? Eh non, hélas : c’est sans doute la seule fois où il faudrait faire la distinction : c’est en effet Poncet qui parle, pas un diplomate, un politique, ou un fin journaliste. Et quand Poncet distingue ainsi, c’est bien qu’il y a tension au sein de ladite «communauté internationale».

Quand on sait toutes les tentatives de Paris de déstabiliser Gbagbo, on est fondé à s’interroger sur la nuance de Poncet. Compte tenu de la suite des événements, on peut dès lors lui faire confiance. «Jacques Chirac a tenté, le 3 novembre, de dissuader par téléphone son homologue ivoirien de passer à l'attaque», précise même Hoffnung. Il y a bien eu là un décalage diplomatique qui n’a pas satisfait Paris, qui dès lors guette la moindre bavure pour stopper l’opération «Dignité».

Ce sera les événements de Bouaké. Il n’y a pas lieu de chercher ailleurs. Quand Hoffnung tient à ce que les Sukhoï «ratent parfois leurs cibles, tuant plusieurs dizaines de civils ivoiriens» et constate : «La communauté internationale ne bronche pas», alors qu’il vient d’écrire que selon l’ambassadeur de France Le Lidec «la communauté internationale n'admettrait pas d'exactions contre les populations» avant d’ajouter «et que "les forces impartiales ne pourraient rester sans réaction si elles étaient mises en état de légitime défense, donc attaquées"», on sait ce qui fera poids. Ou bien, les Sukhoï n’ont pas fait de victimes civiles (ou Hoffnung et consorts auraient oublié de les signaler à l’époque, eux qui ne ratent pas l’invention de quelque escadron de la mort pour discréditer la Côte d’Ivoire républicaine), ou bien être victimes collatérales d’un bombardement ne relève pas du domaine des exactions, ou bien il fallait quelque chose comme les événements de Bouaké pour stopper l’opération «Dignité».

Or c’est bien là ce qui la stoppera. Pour Hoffnung, elle sera stoppée de la sorte parce qu’elle avait déjà quasiment échoué ! Voilà un beau tour de force logique ! Logique bien compliquée, et que l’on a certes, de la peine à suivre. Poursuivons toutefois.

Le 6 novembre 2004, «vers 13 heures, comme lors des raids précédents, les forces françaises sont informées en temps réel du décollage des deux Sukhoï». Et certes, «une attaque visant les soldats tricolores paraissait inimaginable». Elle l’est jusqu’à aujourd’hui ! Quel intérêt ?!

Mais, bref, à partir du moment où l’on persiste à refuser que ça l'est jusqu'à aujourd'hui, on est bien contraint de s’enfoncer dans la «logique», compliquée, on le voit, de Hoffnung et consorts.

Pour cela, il faut passer sous silence le fait que quand «Brigitte Raynaud, l'ex-juge près le tribunal aux armées, {est} saisie deux mois et demi après les faits d'une plainte contre X pour "assassinats" et "tentatives d'assassinat"», c’est que toute enquête sur les événements de Bouaké a été interdite par la France pendant deux mois, que le procureur militaire ivoirien ange Kessi s’est vu interdire l’accès au camp de Bouaké, et que la commission parlementaire française à la Défense a refusé toute commission d’enquête — en substance, par la voix de Guy Teissier, «pour ne pas faire de peine à nos soldats».

Aussi quand Hoffnung se contente de remarquer comme un fait sans rapport que «le 10 février dernier{2006}, {elle quitte} ses fonctions pour rejoindre la Délégation interministérielle à la ville», on ose tout de même se demander si cette «promotion» n’est pas en rapport avec l’avancement de son enquête qui contraint aujourd’hui L’Express et Libération à expliquer laborieusement les faits pour le moins troublants qui contredisent les «informations» qu’ils nous livraient en 2004.

Quand Brigitte Raynaud (qui enquêtait aussi sur le Rwanda et débouchait sur des conclusions peu reluisantes sur le rôle de la France) s’en va en déplorant auprès de la ministre de la Défense que «aucun renseignement ne m'a été fourni sur les raisons pour lesquelles les mercenaires et leurs complices, identifiés comme auteurs de ce crime, bien qu'arrêtés immédiatement et dans les jours qui ont suivi les faits, avaient été libérés sur instruction ou avec le consentement des autorités françaises sans avoir été déférés devant la justice», il est surprenant de voir la logique de Hoffnung vouloir encore y lire une volonté française de «ménager» Gabgbo.

Alors Hoffnung nous ressort l’idée qui a fait long feu, que les Fanci ont été mises en échec en 2002 devant les rebelles, passant sous silence le fait que la contre offensive loyaliste avait alors été stoppée à la demande de la France et suite à l’interposition française. Il est vrai que Hoffnung a besoin de cela pour engoncer sa thèse centrale : alors, il n’hésite pas : «en octobre 2002, une première offensive loyaliste sur la ville s'était soldée par une défaite cuisante face aux rebelles. Gbagbo peut-il se permettre une nouvelle humiliation ?»

Et puisque, dit-il, l’opération «Dignité», menée pourtant, selon lui, avec la complicité — certes tacite ! — de la France (sic

Tous les «Slaves», techniciens et pilotes, sont alors exfiltrés — avec la complicité de Gbagbo (dont on bombarde toutefois le palais), affirme Hoffnung à l’appui de la DGSE. Cela tandis qu’on détruit les moyens militaires ivoiriens (malgré l’affirmation d’Alliot-Marie voulant que l’aéroport de Yamoussoukro ait été alors sous contrôle ivoirien et inaccessible aux Français !). Saura-t-on qui a pris cette décision ? Hoffnung nous donne aujourd’hui une nouvelle (troisième) version : après Chirac himself selon les médias français unanimes en 2004, après Poncet, une fois lâché, selon les mêmes médias en 2005, c’est aujourd’hui, en 2006, Bentégeat qui, selon Hoffnung, a donné l’ordre. Que le lecteur à qui il reste un peu de mémoire se débrouille.

Et tandis qu’on détruit ainsi les avions à Yamoussoukro, on prend l’aéroport d’Abidjan, on bombarde les manifestants du Pont de Gaulle, on se trompe de route en cherchant à récupérer les ressortissants français vers le palais de Gabgbo sur lequel on tire (pour le «ménager»), puis à l’hôtel Ivoire, où l’on n’en trouve pas, mais où l’on trouve (avec surprise, selon Hoffnung 2004) l’infrastructure du gouvernement de Gbagbo et où l’on finit par tirer sur la foule.

On a voulu, pourtant, par tout cela, nous assure-t-on encore, protéger les ressortissants français des exactions. On se souvient en effet des reportages en boucle sur les chaînes françaises à propos desdites exactions, avec le cortège des violences et des viols. «Aucun mort, trois viols», admet aujourd’hui Hoffnung — trois viols, c’est-à-dire, effectivement, l’horreur (tout comme les centaines de viols et autres éventrements par la rébellion, pour lesquels manifestement la France et ses médias sont plus discrets). Si l’on sait que la même nuit, cinq mille prisonniers ont été lâchés dans les rues d’Abidjan — à l’insu, naturellement, de la ministre de la justice installée à son poste par les accords gérés par la France à Marcoussis —, s’il l’on ajoute qu’une des femmes violées nie clairement qu’elle l’ait été par des patriotes, si l’on compare ce chiffre désormais officiel de trois viols aux statistiques des viols en France, on découvre qu’il y a eu au bas mot la nuit du 6 nov. 2004, cinq à six fois plus de viols à Paris qu’à Abidjan : viols en France : 50 000 / an selon – on l’a lu) est en passe d’échouer, on passera à la phase surprise — dans une logique presque aussi compliquée que celle de Hoffnung — : le bombardement du camp français ! http://www.chiennesdegarde.org/article.php3?id_article=416 — soit 140 env. / jour. Si l’on sait que l’agglomération parisienne compte env. 10 millions d’habitants, soit plus de 10 % de la population française, cela fait au moins 15 femmes violées par jour à Paris.

Reste de cet imbroglio hoffnunguien que les autorités françaises ont laissé volontairement partir les «Slaves» — cela, selon Alliot-Marie, parce que le pouvoir français est juridiquement tatillon. Il est vrai que les autorités françaises ont l’habitude de s’embarrasser du droit dans leurs rapports avec l’Afrique !

Et tout cela, Hoffnung n’en doute pas, pour «ménager» un Gbagbo dont on ne néglige par ailleurs jusqu’à aujourd’hui aucun moyen, médiatique, militaire, diplomatique (et j’en passe), pour essayer, en vain, de le dégommer…

La laborieuse explication de Hoffnung n’explique toutefois pas pourquoi la France a interdit en son temps toute enquête française, et a fait barrage à l’enquête ivoirienne en refusant l’entrée du camp de Bouaké. Elle n’explique surtout pas les faits qu’il notait lui-même par la bande en 2004.

Et enfin — puisqu’il présente cela comme enjeu central de son article — quelle est cette logique que Hoffnung et l’éditorial de Libération prêtent à la Chiraquie : vouloir s’éviter l’inimitié des familles des soldats pour ce qui serait un dérapage de l’opération «Dignité», dérapage dont Hoffnung dit qu’il n’est en aucun cas le fait de Paris ?!

L’enjeu n’est-il pas alors plus simplement, encore et toujours, la mise en cause de la Côte d’Ivoire républicaine qui, comme malgré elle, a remué les eaux troubles d’une Françafrique aux abois ?