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mardi, 29 mai 2007

Guerres, médias et autocritique



« Les médias américains peinent à faire leur autocritique »
titre Libération
pour un article annonçant en sous-titre :
« Un documentaire pointe leurs erreurs dans le traitement du conflit irakien. »
Article signé par DéVRY Thomas, correspondance de New York — daté du mardi 29 mai 2007 —
http://www.liberation.fr/actualite/monde/256710.FR.php


L’article annonce remarquablement la couleur dès sa première phrase. Je cite :

« Comme le chante Elton John, «Sorry seems to be the hardest word» («S'excuser est la chose la plus difficile»). Quatre ans après l'invasion de l'Irak […]la presse américaine semble toujours réticente à admettre son rôle de «facilitateur» dans la catastrophe irakienne. »

Voilà qui s’annonce intéressant pour qui suit la façon de faire de la presse française concernant la crise ivoirienne depuis 4 ans. Un article, écrit pour un journal français — et quel journal français, en regard de la crise franco-ivoirienne !

On peut aisément reprendre mot pour mot cette première phrase à deux détails près :

« Comme le chante Elton John, «Sorry seems to be the hardest word» («S'excuser est la chose la plus difficile»). Quatre ans après l’interposition en Côte d’Ivoire […]la presse française semble toujours réticente à admettre son rôle de «facilitateur» dans la catastrophe ivoirienne. »

(Heureusement, et malgré l’ « interposition » française, la crise en Côte d’Ivoire s’est trouvée depuis quelques mois une issue qui permet la paix jusqu’à présent — avec le dialogue direct.)

Reprenons la lecture de l’article de Libération, pour constater que la presse américaine, elle, se remet tout de même quelque peu en question — cela apparaît tout au long de l’article, sans compter le film qui est à la base de l’article — ce à quoi on pourrait ajouter le scandale d’Abou Graïb rapporté par la presse américaine —, quand la presse française se gardait bien de parler d’Abidjan nov. 2004, et d’enquêter sur le présumé « bombardement » de Bouaké.

Et pourtant le film amateur montrant les tirs sur la foule devant l’hôtel Ivoire qui circulait sur Internet, et où l’on voit Jean-Louis Coulibaly se faire décapiter par une balle de gros calibre, était connu : un extrait (non-significatif) en était montré par nos journaux télévisés. Il a fallu trois semaines et le reportage de Canal + diffusant en outre le bombardement du pont de Gaulle pour que les Français voient enfin ! — l’équivalent de « l'exception d'une poignée de reporters » américains (Canal + et les questions de Daniel Scheidemann à « Arrêt sur image » et dans « Rebonds » — bon alibi pour Libé !).

Et pourtant, rien en France d’équivalent à la remise en question américaine ; non plus qu’à cet autre documentaire « du vétéran Bill Moyers » signalé par l’article Libé, diffusé « début mai » (2007 ?) par la TV publique américaine : « recensant les principales charges (absence de questionnements des motifs de la Maison Blanche, crédulité des reporters, relégation des articles sceptiques en fin de journal...), ce journaliste respecté a recueilli les confidences penaudes d'un certain nombre d'acteurs de l'époque. L'ancien présentateur de CBS, Dan Rather, admet : «Nous n'avons pas assez creusé. Je ne crois pas que l'on puisse excuser ma performance et celle de la presse en général dans les préparatifs de la guerre.» 

Amende honorable qui n’est pas sans dignité, et dont on attendrait l’équivalent de la part des médias français, Libé en tête, concernant la Côte d’Ivoire. Mais rien de cela en France, quand en outre, contrairement à la guerre d’Irak, il ne s’agit pas d’une dictature, mais de dégommer un président démocratiquement élu — au prix des pires calomnies relayées par les médias français.

Poursuivons notre lecture : « 
L'ex-PDG de CNN, Walter Isaacson, pour expliquer le bilan médiocre de la chaîne qu'il dirigeait, lâche : "Il y avait une police du patriotisme dans la foulée du 11 septembre, et quand nous montrions des images de victimes civiles par exemple, nous recevions des coups de téléphone des annonceurs et du gouvernement qui nous taxaient d'antiaméricanisme..." 

Voilà qui nous replace en terrain connu en France, où les doigts ont aussi connu la couture du pantalon — certes des médias, mais aussi des opposants politiques, comme au PS —, mais personne pour reconnaître là l’équivalent d’« une police du patriotisme ».

Et pourtant en France aussi, nouvelle équivalence, comme pour leurs confrères américains, « si, à l'exception d'une poignée de reporters, la plupart des journalistes [français] se sont fait rouler dans la farine par l'administration [Chirac], ce sont les éditorialistes et chroniqueurs qui en ont été la vraie chambre d'écho. »

Il n’est pas jusqu’à ce « jeune "faucon de gauche" Peter Beinart [— à présent,] sa prestation fait peine à voir [… — qui] admet qu'il n'a jamais mis les pieds en Irak, qu'il n'est pas spécialiste du Proche-Orient, mais qu'il "a beaucoup lu sur la question" et que cela le rendait parfaitement apte à disserter doctement sur le conflit qu'il appelait de ses vœux... » — il n’est pas jusqu’à ce « jeune "faucon de gauche" » qui n’ait son équivalent : les nombreux ennemis plumitifs français de la démocratie ivoirienne — les fameux « spécialistes de la Côte d’Ivoire » — l’attaquant tout au long des coups de boutoirs diplomatico-militaires françafricains pour la renverser.

Mais en France, pas d’amende honorable. Ici, on pratique le « révisionnisme évolutif » ! Aussi, en France on ne saura pas si — comme « le Time, par exemple, [qui] n'a pas hésité à recruter comme chroniqueurs grassement payés » — certains de nos propriétaires de journaux et accessoirement marchands d’armes ou tout aussi accessoirement propriétaires de l’essentiel de l’économie de la Côte d’Ivoire, se sont payé de même le luxueux service de chroniqueurs, ni de quelle éventuelle façon.

En revanche, on trouvera moult critiques, dans ces mêmes journaux français, de la presse américaine qui a, elle, la décence de faire amende honorable.

Ne reste qu’à espérer que la leçon finale de l’article de Libé puisse valoir aussi en France : « pour la prochaine guerre, ses conseils seront utiles. »




 

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