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mardi, 03 octobre 2006

Une interview de Mamadou Koulibaly, Président de l’Assemblée nationale ivoirienne (2)



L’Observateur (journal sénégalais) 3 octobre 2006 — http://www.lobservateur.sn/articles/showit.php?id=9797&am... :



Interview par Jules Diop :

 

Mamadou Koulibaly: «Ce que Abidjan reproche à Dakar…»

M. le Président, le Sénégal et la Côte d’Ivoire ont des liens extrêmement forts sur beaucoup de plans, mais, depuis un certain temps, les relations sont crispées. Qu’est ce que Abidjan reproche à Dakar?

La Côte d’Ivoire en tant que pays et Nation ne reproche rien au Sénégal, au contraire. Le problème c’est que Dakar s’est mis à l’idée qu’il fallait s’investir dans la crise ivoirienne de façon ouverte comme pour les intérêts de Jacques Chirac. C’est ce que Chirac souhaite faire en Côte d’Ivoire que Dakar utilise comme plaidoyer.

Pourtant entre Dakar et Paris les relations ne sont pas si cordiales que çà.

Soit ! Mais il faut dire qu’il y a une course au leadership dans la sous-région que la France favorise et que Gbagbo trouve non seulement inacceptable mais un peu malsaine. Il ne faudrait pas qu’à Dakar on oublie qu’il y a plus de Sénégalais en Côte d’Ivoire qu’en France. Il y a des relations tissées entre nos deux peuples que personne ne pourrait casser.

Après les reproches faits à Dakar, ne croyez-vous pas que Gbagbo verse de l’huile sur le feu en recevant, l’ennemi public N° 1 du Sénégal, Salif Sadio ?

De la même façon que Dakar cherche à obtenir la paix en Côte d’Ivoire, Gbagbo a estimé qu’il faut qu’il comprenne mieux ce que les rebelles de Casamance veulent. Et voir alors dans ce cadre si le modèle de rébellion qu’il y a en Casamance est le même que celui de Côte d’Ivoire. L’idée étant de trouver une solution à toutes les rebellions en Afrique pour que les Africains puissent régler les crises par la démocratie et non par la prise des armes et l’accession au pouvoir par le coup d’Etat. Cela suppose qu’on voit ce qu’il y a comme rébellion et les identifier.

Cette initiative du Président Gbagbo de recevoir Salif Sadio a été considérée par Dakar comme une façon de soutenir la rébellion casamançaise.

Dans un premier temps, c’était pour comprendre. Il faut savoir que Gbagbo n’a pas « habillé » le leader casamançais, ni déroulé le tapis rouge. Il a discrètement reçu le rebelle casamançais comme la diplomatie l’exige. Dakar, lui, donne un « coup de pouce » aux rebelles ivoiriens. Sans compter d’autres faveurs encore. C’est totalement différent. Et c’est inacceptable.

Où en est-on avec l’affaire des déchets toxiques, quand on sait que des responsables impliqués ne sont pas inquiétés et que 2 camions remplis de déchets toxiques sont encore « invisibles » à Abidjan ?

Je pense que la question des déchets toxiques relève de l’empoisonnement collectif organisé par Trafigura une entreprise quasiment mafieuse dont les principaux directeurs et propriétaires sont français et très proches de Chirac et qui sont arrivés à corrompre un certain nombre de fonctionnaires et d’hommes politiques ivoiriens pour accepter sur notre territoire ce poison. Mais ceux qui sont venus avec ces déchets ne cherchaient pas de poubelle, ils cherchaient plutôt un pays à agresser, à affaiblir, à installer dans les troubles sociaux et pour pouvoir ensuite bien l’abattre comme ils ne sont pas arrivés à le faire depuis 3 ans maintenant. Le Français responsable de cette société est en prison, le gouvernement a démissionné et a été reconduit par le président de la République. Plusieurs décisions ont été prises, la suspension de différents responsables. La justice a été saisie à travers le procureur de la République, il faut lui laisser le temps de faire son travail, d’approfondir les enquêtes dans le souci de réparer le tort qui a été fait aux populations ivoiriennes.

La question des audiences foraines a fait couler beaucoup d’encre et de salive. Et depuis lors, elles ont été bloquées. Quel est le problème ?

Les audiences foraines sont une pratique courante en Côte d’Ivoire. Il y a une loi qui permet de faire périodiquement le point sur ceux qui sont nés en côte d’ivoire et qui n’ont pas d’extrait de naissance, les audiences foraines permettent de leur établir des jugements supplétifs. Dans le cas ivoirien, les rebelles ont voulu utiliser avec l’appui de la France ces audiences pour refaire les listes électorales. La dernière audience a eu lieu en 1998 et tous les partis politiques y étaient. Aujourd’hui le bloc rebelle pense qu’il y a 3. 500. 000 personnes qui n’ont pas d’extrait de naissance et de jugement supplétif. Ils disent aussi que ces audiences foraines doivent permettre de donner des certificats de nationalité à ces personnes. Ce qui n’est pas la fonction des audiences foraines. Ce qui est illégal et contre le code de la nationalité ivoirienne. Nous l’avons évidemment refusé. Le bloc rebelle affirme aussi que les audiences foraines devraient permettre aux gens de s’inscrire automatiquement sur les listes électorales actuelles. Ce qui signifie donc qu’on découvrirait 3 500 000 personnes qui ont plus de 13 ans et qui n’ont aucun papier d’état civil, aucune nationalité connue et qui se déverseraient dans la nationalité ivoirienne dans le seul but de participer aux élections à avenir. Pour nous c’est de la fraude, surtout qu’on a vu avec le projet pilote des Ghanéens, des Maliens et Burkinabé accéder à la nationalité ivoirienne, s’inscrire sur les listes électorales. On a vu comment même à Abidjan des non ivoiriens ont cru qu’il s’agissait d’une foire à la distribution de la nationalité ivoirienne. Cela était trop grossier et anti-constitutionnel. Ce qui a fait dire à Chirac qu’à cela ne tienne, il faut suspendre le code électoral, le code de la nationalité et reconstituer un nouvelle population que les audiences foraines version rebelle devraient permettre d’établir. Ce que nous avons totalement refusé.

Est-ce que vous pensez que le fait de mettre les différents leaders ensemble dans un futur gouvernement pourrait mettre fin à la crise comme l’a suggéré le président Bongo, à savoir Gbagbo président, Ouattara, vice-président, Soro guillaume, Premier ministre et Konan Bédié, président de l’Assemblée nationale ?

Je pense que c’est de la poudre aux yeux. On a déjà essayé ce schéma parce qu’on a cru que c’était une affaire d’hommes et de places. La côte d’Ivoire n’est pas là pour gérer les destins politiques. C’est une terre de fraternité. Le schéma qui est proposé réduit la crise ivoirienne à une question de positionnement de leaders politiques ivoiriens. Ce qui est totalement faux. La question de fond est que nous voulons être libres. Qu’on impose un schéma de gouvernement : Ouattara, Soro, Bédié… à des postes de responsabilités n’entraîne pas l’indépendance de la Côte d’Ivoire. Cela n’entraîne pas non plus la prise en charge de la Côte d’Ivoire par les Ivoiriens eux mêmes mais, au contraire, laisse le pays à des mains étrangères. Notre destin ne se résume pas à la destinée politique de ces 4 ou 5 personnes. La Côte d’ivoire a une vie à part de ce Gbagbo, Ouattara, Soro et Bédié cherchent.

M. le Président, on ne va pas finir cet entretien sans parler d’économie, vous même étant économiste, comment l’économie ivoirienne se porte t-elle aujourd’hui avec cette crise ?

C’est une économie en pleine crise avec croissance négative de moins 1 %. C’est une économie dont une partie de la production est détournée au profit du Mali et du Burkina Faso. Une économie dont une partie du Pnb est recyclée dans ces deux pays voisins. C’est une économie d’un pays dont une partie des citoyens est prise en otage par les rebelles. C’est une économie qui voit le chômage grossir en son sein, le coût de la vie s’élever. C’est une économie qui voit beaucoup de ses jeunes désespérer de plus en plus. Mais c’est une économie qui n’est pourtant pas en faillite. Elle arrive à avoir des institutions en place. Elle n’a plus les moyens des grands investissements pour l’emploi, le développement. Elle n’a plus les moyens d’attirer les investisseurs comme cela se faisait avant à cause de la crise. Mais elle demeure encore une économie dynamique. La partie sud dont les résultats sont officiels et contrôlée par l’Etat tient l’ensemble du pays parce que la partie nord est désormais inscrite dans une économie informelle, de contrebande et de pillage, une économie de guerre. Et tout le monde est au courant y compris les Nations unies, l’Uemoa, la Cdeao… Et dans aucun des contrats de ces Institutions, il n’est admis qu’un pays membre peut annexer une partie du territoire d’un autre pays membre et piller les ressources. L’économie de la Côte d’Ivoire est dans ce cas de figure. Et personnellement je suis déçu de toutes ces Institutions que sont l’Uemoa, la Cdeao, la Bceao parce qu’elles sont toutes créées autour d’un contrat, de Traité, d’arrangement institutionnel. Et ces traités sont violés en Côte d’Ivoire depuis bientôt cinq ans au su et vu de toutes ces Institutions et de leurs responsables mais aussi des chefs d’Etats. Et personne n’en parle. Tous font comme s’il s’agissait d’une problématique interne, Nord-Sud et Musulmans-Chrétiens en Côte d’Ivoire alors que tous savent que le coton ivoirien est recyclé au Burkina, que le cacao ivoirien est vendu par le port du Togo, que le bois ivoirien est pillé par les entreprises françaises. Je suis très déçu parce qu’on a l’impression qu’on a signé des traités de coopération, d’intégration sous-régionale mais en réalité que ce qui compte, c’est ce que veut la France et tout le monde accepte cela sans discuter même si la vérité crève les yeux.

Est-ce que la Côte d’Ivoire arrive à payer normalement les salaires de ses fonctionnaires ?

Oui, oui, nous payons les salaires. Nous essayons même de payer une partie des arriérés du service de la dette due au Fmi et à la Banque mondiale. Environ 700 à 800 milliards de f cfa par an. Mais difficilement puisque la priorité, c’est la survie de l’Etat et de ses charges.

Il y a une image d’Épinal qui vous colle à la peau, celle de gardien de la ligne dure, l’idéologue, le faucon du régime de Gbagbo, qu’en pensez-vous ?

Je pense que c’est une bonne réputation. Ça veut dire qu’il y a une ligne que personne n’arrivera à briser. Parce que gardée par des gens qui croient que c’est cette ligne là qui conduira à la liberté. Je ne prends pas ça mal. Je trouve d’ailleurs que c’est un hommage que l’on rend au combat pour la liberté des Ivoiriens. Et au delà de la Côte d’Ivoire, de l’Afrique. Cela me fait d’ailleurs penser, en souriant, à Pétain entrain de dire à De Gaulle qu’il était un extrémiste. Et l’histoire a fini par prouver que c’est Pétain lui-même qui était un collabo. Et De Gaulle taxé d’extrémiste a, lui, défendu la grandeur de la France, la République française. Ceux qui traitent les patriotes d’extrémistes devraient penser à cela.

Quel est le message que vous lancez à la Communauté internationale ?

Il y a le droit international, le droit à l’autodétermination des peuples, il y a la charte des Nations unies, il y a les accords et les traités internationaux signés par les Etats et en aucun cas les Ivoiriens n’accepteraient qu’on les considère comme un sous peuple, un peuple pour lequel le droit international n’est plus valable. Un peuple pour lequel un chef d’Etat français peut se lever et décréter qu’il n’est plus digne d’être indépendant et qu’il mérite qu’on lui remette les chaînes aux pieds ; Je pense que la communauté internationale devrait réfléchir avant de prendre quelque engagement que ce soit accompagnant le projet macabre français.



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